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LES PRÉCURSEURS

mands n’affirment-ils pas que la plus parfaite réalisation de la pensée de Kant est… l’armée prussienne ! Car, disent-ils, en elle le sentiment du devoir kantien est devenu réalité vivante…

Inutile de nous attarder à ces insanités, qui ne diffèrent que par des nuances de celles qui servent, en tous pays, aux gardes nationaux de l’intelligence, pour exalter leur cause, et la guerre. Il suffit de constater, avec Nicolaï, que l’idéalisme européen s’est écroulé en 1914. Et la conclusion de Nicolaï (que je me contente ici d’enregistrer objectivement), c’est que « la preuve a été faite de l’absolue inutilité de la morale idéaliste ordinaire (kantienne, chrétienne, etc.), puisqu’elle n’a pu déterminer aucun de ses tenants à agir moralement. » Devant cette impossibilité manifeste de fonder l’action morale sur une base uniquement idéaliste, Nicolaï considère que le premier devoir est de chercher une autre base. Il souhaite que l’Allemagne, instruite par son profond abaissement, son « Iéna moral », travaille à cette tâche urgente pour l’humanité, — et pour elle-même, plus que pour toute autre nation : car elle en a plus besoin. — « Cherchons donc, dit-il, s’il n’est pas possible de trouver dans la nature, scientifiquement observée, les conditions d’une morale objective, qui soit indépendante de nos sentiments personnels, bons ou mauvais, toujours chancelants. »

La guerre étant un phénomène de transition dans l’évolution humaine, comme le montre la première partie du volume, quel est le principe propre et éternel de l’humanité ? Et d’abord, y en a-t-il un ? Y a-t-il