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LES PRÉCURSEURS

nace l’État commun. Continuant l’expérience, Forel, le mois suivant, va chercher une nouvelle poignée de pratenses dans l’ancienne fourmilière, et la pose devant la fourmilière mixte, Les nouvelles venues se jettent sur les sanguineae. Mais celles-ci ripostent sans violence ; elles se contentent de rouler par terre les agresseurs et les relâchent ensuite. Les pratenses n’y comprennent rien. Quant aux autres pratenses de la fourmilière mixte, elles évitent leurs anciennes sœurs, ne les combattent pas, mais transportent leurs cocons chez elles. Ce sont les nouvelles venues qui sont violentes à leur égard. Le lendemain, une partie d’entre elles ont été admises dans la fourmilière mixte ; et la paix ne tarde pas à s’établir pour toujours. En aucun cas, on ne voit les pratenses de la fourmilière mixte s’allier à leurs sœurs nouvellement arrivées contre les sanguineae. L’alliance amicale est plus forte que la fraternité de race ; entre les deux espèces ennemies, la haine est désormais vaincue[1].

De tels exemples suffisent à montrer l’erreur funeste de ceux qui croient à l’immuabilité quasi-sacrée des instincts, et qui, après y avoir inscrit l’instinct de guerre, y voient une fatalité imposée, du bas au haut de la chaîne des êtres, En premier lieu, l’instinct comporte tous les degrés d’impératif, inflexible ou flexible, absolu ou relatif, durable ou passager, non seulement d’un genre à l’autre, mais, dans un même genre, d’une

  1. Voir A. Forel : Les Fourmis de la Suisse, p. 266–273.