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XXVI

Déclaration d’Indépendance de l’Esprit

Travailleurs de l’Esprit, compagnons dispersés à travers le monde, séparés depuis cinq ans par les armées, la censure et la haine des nations en guerre, nous vous adressons, à cette heure où les barrières tombent et les frontières se rouvrent, un Appel pour reformer notre union fraternelle, mais une union nouvelle, plus solide et plus sûre que celle qui existait avant.

La guerre a jeté le désarroi dans nos rangs. La plupart des intellectuels ont mis leur science, leur art, leur raison, au service des gouvernements. Nous ne voulons accuser personne, adresser aucun reproche. Nous savons la faiblesse des âmes individuelles et la force élémentaire des grands courants collectifs : ceux-ci ont balayé celles-là, en un instant, car rien n’avait été prévu afin d’y résister. Que l’expérience au moins nous serve, pour l’avenir !

Et d’abord, constatons les désastres auxquels a conduit l’abdication presque totale de l’intelligence du monde et son asservissement volontaire aux forces déchaînées. Les penseurs, les artistes, ont ajouté au fléau qui ronge l’Europe dans sa chair et dans son esprit une somme incalculable de haine empoisonnée ; ils ont cherché dans l’arsenal de leur savoir, de leur mémoire, de leur imagination, des raisons anciennes et nouvelles, des raisons historiques, scientifiques, logiques, poétiques, de haïr ; ils ont travaillé à détruire la compréhension et l’amour entre les hommes. Et, ce faisant, ils ont enlaidi, avili, abaissé, dégradé la Pensée, dont ils étaient les représentants. Ils en ont fait l’instrument des passions (et sans le savoir peut-être), les intérêts