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LES PRÉCURSEURS

égoïstes d’un clan politique ou social, d’un État, d’une patrie ou d’une classe. À présent, de cette mêlée sauvage, d’où toutes les nations aux prises, victorieuses ou vaincues, sortent meurtries, appauvries, et, dans le fond de leur cœur (bien qu’elles ne se l’avouent pas), honteuses et humiliées de leur crise de folie, la Pensée, compromise dans leurs combats, sort, avec elles, déchue.

Debout ! Dégageons l’Esprit de ces compromissions, de ces alliances humiliantes, de ces servitudes cachées ! L’Esprit n’est le serviteur de rien. C’est nous qui sommes les serviteurs de l’Esprit, Nous n’avons pas d’autre maître. Nous sommes faits pour porter, pour défendre sa lumière, pour rallier autour d’elle tous les hommes égarés. Notre rôle, notre devoir, est de maintenir un point fixe, de montrer l’étoile polaire, au milieu du tourbillon des passions dans la nuit. Parmi ces passions d’orgueil et de destruction mutuelle, nous ne faisons pas un choix : nous les rejetons toutes. Nous honorons la seule Vérité, libre, sans frontières, sans limites, sans préjugés de races ou de castes. Certes, nous ne nous désintéressons pas de l’Humanité ! Pour elle, nous travaillons, mais pour elle tout entière. Nous ne connaissons pas les peuples. Nous connaissons le Peuple, — unique, universel, — le Peuple qui souffre, qui lutte, qui tombe et se relève, et qui avance toujours sur le rude chemin trempé de sa sueur et de son sang, — le Peuple de tous les hommes, tous également nos frères. Et c’est afin qu’ils prennent, comme nous, conscience de cette fraternité que nous élevons au-dessus de leurs-luttes aveugles l’Arche d’Alliance. — l’Esprit libre, un et multiple, éternel.

R. R.

Villeneuve, printemps 1919.


[Ce manifeste a été publié dans l’Humanité du 26 juin 1910.]