Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

IV

À l’Antigone éternelle

L’action la plus efficace qui soit en notre pouvoir à tous, hommes et femmes, est l’action individuelle, d’homme à homme, d’âme à âme, l’action par la parole, l’exemple, par tout l’être. Cette action, femmes d’Europe, vous ne l’exercez pas assez. Vous cherchez aujourd’hui à enrayer le fléau qui dévore le monde, à combattre la guerre. C’est bien, mais c’est trop tard. Cette guerre, vous pouviez, vous deviez la combattre dans le cœur de ces hommes, avant qu’elle n’eût éclaté. Vous ne savez pas assez votre pouvoir sur nous. Mères, sœurs, compagnes, amies, aimées, il dépend de vous, si vous le voulez, de pétrir l’âme de l’homme. Vous l’avez dans vos mains, enfant ; et, près de la femme qu’il respecte et qu’il aime, l’homme est toujours enfant. Que ne le guidez-vous ! — Si j’ose me servir d’un exemple personnel, ce que j’ai de meilleur ou de moins mauvais, je le dois à certaines d’entre vous. Que, dans cette tourmente, j’aie pu garder mon inaltérable foi dans la fraternité humaine, mon amour de l’amour et mon mépris de la haine, c’est le mérite de quelques femmes : pour n’en nommer que deux, — de ma mère, chrétienne, qui me donna dès l’enfance le goût de l’éternel, — et de la grande Européenne Malwida von Meysenbug, la pure idéaliste, dont la vieillesse sereine fut l’amie de mon adolescence. Si une femme peut sauver une âme d’homme, que ne les sauvez-vous tous ? Sans doute parce que trop peu