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LES PRÉCURSEURS

jardin fermé, — peu curieux des grands espaces où coule à flots précipités la rivière qui traversa naguère son enclos et qui, maintenant élargie, arrose toute la terre.

Vous êtes nés sur un sol que n’encombrent ni n’enferment les constructions de l’esprit. Profitez-en. Soyez libres ! Ne vous asservissez pas aux modèles étrangers. Le modèle est en vous. Commencez par vous connaître.

C’est le premier devoir : que les individualités diverses qui composent vos États osent s’affirmer en art, librement, sincèrement, totalement, sans fausse recherche de l’originalité, mais sans souci de ce qu’ont exprimé les autres avant vous, sans peur de l’opinion. Avant tout, oser regarder en soi, jusqu’au fond. Longuement. En silence. Bien voir. Et ce qu’on a vu, oser le dire tel qu’on l’a vu. Ce recueillement en soi, ce n’est pas s’enfermer dans une personnalité égoïste. C’est plonger ses racines dans l’essence de son peuple. Tâchez d’en éprouver les souffrances et les aspirations. Soyez la lumière projetée dans la nuit de ces puissantes masses sociales, qui sont appelées à renouveler le monde. Ces classes populaires, dont l’indifférence artistique vous oppresse parfois, ce sont des muets qui, ne pouvant s’exprimer, s’ignorent. Soyez leur voix ! En vous entendant parler, elles prendront conscience d’elles-mêmes. Vous créerez l’âme de votre peuple, en exprimant la vôtre.

Votre seconde tâche, plus vaste et plus lointaine, sera d’établir entre ces libres individualités un lien fraternel, de construire la rosace de leurs multiples nuances, de tresser la symphonie de ces voix variées. Les États-Unis sont faits des éléments de toutes les nations du monde. Que cette riche formation vous aide à pénétrer l’essence de ces nations et à réaliser l’harmonie de leurs forces intellectuelles ! — Aujourd’hui,