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LES PRÉCURSEURS

revanche, Lausanne est la plus combative ; elle s’entend mal avec les autres sections. Elle-même divisée en clans, elle affiche des tendances séparatistes, qui ont abouti à une crise aiguë au début de 1916. Elle affirme à outrance son caractère vaudois et s’enferme chez soi.

Lausanne, Bâle, Zurich sont les trois grandes sections.

Les deux plus faibles sont Lucerne, de peu d’importance, où règne une « cordialité paresseuse », et Berne, peu nombreuse, endormie, ne se renouvelant presque plus. « Beamtenstadt » (ville d’employés), comme l’appelle un de ses membres, elle se préoccupe peu des problèmes modernes ; elle reste attachée au gros bon sens matériel et apathique, à l’ordre établi. « Le Bernois, de nature, est défiant à l’égard des novateurs et des idéalistes : il voit en eux des rêveurs ou des révolutionnaires… L’état d’esprit de ces jeunes gens rappelle celui des milieux officiels ».

Entre ces deux groupes de sections, Saint-Gall est travailleur, enthousiaste et indépendant : « chacun y ose affirmer franchement son opinion » ; mais la section n’a pas l’importance de Zurich ou de Bâle. — Neuchâtel manifeste une énergie intermittente, avec, « au fond, une certaine flemme naturelle ». — Enfin, Genève est amorphe. « Le gros de la masse flotte, indécis, endormi, ne manifeste point son opinion », et peut-être, n’en a guère. Tout repose sur quelques-uns. « Aucune section n’aurait autant besoin d’un président à poigne ». Faute d’un chef, elle est désorientée, somnole, et tout lui est indifférent. Elle manque d’esprit de corps. « Les Genevois sont très individualistes ; mais malheureusement, ceux qui ont une vraie personnalité sont rares ». Ajoutez le trait caractéristique du vieux Genevois, la peur de se livrer, de montrer ce qu’il sent, par crainte de la critique ou de l’ironie : une susceptibilité d’écorché, qui se cuirasse de froideur ;