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LES PRÉCURSEURS

démocratique devant le pouvoir et la loi, de tous les citoyens, communautés, cantons, nationalités, langues, etc. Par son essence même, la Suisse se trouve donc en opposition absolue avec l’impérialisme des grandes puissances. « La victoire du principe impérialiste serait la mort politique de la Suisse. » (Guggenheim.)

Que faire ? Ces jeunes gens ont, très vif, le sentiment de la mission de leur pays, et aussi de son insuffisance actuelle à la remplir. Avec une belle modestie, ils se défendent « de vouloir jouer aux Pharisiens de l’Europe ». S’ils croient à l’excellence des principes qui sont à la base de la Suisse, telle qu’ils la rêvent, mais non pas telle qu’elle est, « il ne faut pas voir là, dit Patry, un nouveau cas de monopolisation du Bien et du Beau par un pays, qui en deviendrait la seule patrie ». Non, il faut se contenter de la pensée que le terrain est bon pour bâtir et qu’il y a beaucoup de travail à faire.

« C’est précisément à l’heure actuelle que se révèle la destinée de la Suisse. Au moment où le principe des nationalités domine toute la scène européenne comme une puissance satanique, au moment où les civilisations opposées s’entre-déchirent, notre petit État, écrit Clottu, revendique l’honneur d’un idéal national dominant les nationalités et les unissant dans soit sein. N’est-ce pas une folie ? Oui, peut-être, pour le sceptique prétendu sage à qui le spectacle du présent masque l’avenir, mais non pas pour le vrai sage qui sait que les grandes causes du monde ont été d’abord une fois clouées au pilori de la croix. Le principe des nationalités a eu sa mission ; mais s’il cesse d’être un facteur de libération et de tolérance pour devenir la source de la haine et d’un égoïsme d’État aveugle et sans bornes, il travaille à son propre suicide. La Suisse est appelée à ouvrir la voie à une application plus saine du principe des nationalités. »

Et Patry : « C’est le terrain où nous pouvons et devons être conquérants. Par notre formation his-