L’impression qui domine est d’une extrême objectivité. Sauf au dernier chapitre, où s’affirment ses idées sociales, on ne connaît point l’auteur : il est là, mêlé à ses obscurs compagnons ; il lutte, il souffre avec eux, et d’une seconde à l’autre il risque de disparaître ; mais il a la force d’âme de s’abstraire du tableau et de voiler son moi : il regarde, il entend, il sent, il tâte, il agrippe, de tous ses sens à l’affût, le spectacle mouvant ; et c’est merveille de voir la sûreté de cet esprit français, dont aucune émotion ne fait trembler le dessin, ni ne ternit la notation. Une multitude de touches juxtaposées, vives, vibrantes, crues, aptes à rendre les chocs et les sursauts des pauvres machines humaines passant d’une torpeur lasse à une hyperesthésie hallucinée, — mais que place et combine une intelligence toujours maîtresse de soi. Un style impressionniste, que tentent parfois, un peu trop pour mon goût, les jeux de mots visuels à la Jules Renard, cette « écriture artiste », qui est un article si éminemment parisien, et qui, en temps ordinaire, « poudrederise » les émotions, mais qui, dans ces convulsions de la guerre, prend je ne sais quelle élégance héroïque. Dans le récit serré, sombre, étouffant, s’ouvrent des épisodes de repos, qui en rompent l’unité, et où se détend quelques instants l’étreinte. La plupart des lecteurs en goûteront le charme, l’émotion discrète (la Permission) ; — mais les trois quarts de l’œuvre ont pour cadre les tranchées de Picardie, sous « le ciel vaseux », sous le feu et sous l’eau, — visions tantôt d’Enfer, et tantôt de Déluge.
« Les armées restent là, enterrées, des années, « au fond d’un éternel champ de bataille », entassées, « enchaînées coude à coude », pelotonnées « contre la pluie qui vient d’en haut, contre la boue qui vient d’en bas, contre le froid, cette espèce d’infini qui est partout ». Les hommes, affublés de peaux de bêtes, de paquets de couvertures, de tricots, surtricots, de carrés