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lettre a m. d’alembert

c’est d’approprier tellement ce code au peuple pour lequel il est fait et aux choses sur lesquelles on y statue, que son exécution s’ensuive du seul concours de ces convenances ; c’est d’imposer au peuple, à l’exemple de Solon, moins les meilleures lois en elles-mêmes, que les meilleures qu’il puisse comporter dans la situation donnée. Autrement il vaut encore mieux laisser subsister les désordres, que de les prévenir, ou d’y pourvoir par des lois qui ne seront point observées : car, sans remédier au mal, c’est encore avilir les lois.

Une autre observation, non moins importante, est que les choses de mœurs et de justice universelle, ne se règlent pas, comme celles de justice particulière et de droit rigoureux, par des édits et par des lois ; ou, si quelquefois les lois influent sur les mœurs, c’est quand elles en tirent leur force. Alors elles leur rendent cette même force par une sorte de réaction bien connue des vrais politiques.

Par où le gouvernement peut-il donc avoir prise sur les mœurs ? Je réponds que c’est par l’opinion publique. Si nos habitudes naissent de nos propres sentiments dans la retraite, elles naissent de l’opinion d’autrui dans la société. Quand on ne vit pas en soi, mais dans les autres, ce sont leurs jugements qui règlent tout ; rien ne paraît bon ni désirable aux particuliers que ce que le public a jugé tel, et le seul bonheur que la plupart des