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profession de foi du vicaire savoyard

Je conçus que l’insuffisance de l’esprit humain est la première cause de cette prodigieuse diversité de sentiments, et que l’orgueil est la seconde. Nous n’avons point la mesure de cette machine immense, nous n’en pouvons calculer les rapports ; nous n’en connaissons ni les premières lois ni la cause finale ; nous nous ignorons nous-mêmes ; nous ne connaissons ni notre nature ni notre principe actif ; à peine savons-nous si l’homme est un être simple ou composé : des mystères impénétrables nous environnent de toutes parts ; ils sont au-dessus de la région sensible ; pour les percer nous croyons avoir de l’intelligence, et nous n’avons que de l’imagination. Chacun se fraye, à travers ce monde imaginaire, une route qu’il croit la bonne ; nul ne peut savoir si la sienne mène au but : cependant nous voulons tout pénétrer, tout connaître… Petite partie d’un grand tout dont les bornes nous échappent, et que son auteur livre à nos folles disputes, nous sommes assez vains pour vouloir décider ce qu’est ce tout en lui-même, et ce que nous sommes par rapport à lui.

Le premier fruit que je tirai de ces réflexions fut d’apprendre à borner mes recherches à ce qui m’intéressait immédiatement, à me reposer dans une profonde ignorance sur tout le reste, et à ne m’inquiéter, jusqu’au doute, que des choses qu’il m’importait de savoir.

Je compris encore que, loin de me déli-