Page:Rolland - Pages immortelles de J. J. Rousseau.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
julie ou la nouvelle héloïse

de l’air et des saisons, le soleil ou les brouillards, l’air couvert ou serein, régleront sa destinée, et il sera content ou triste au gré des vents. Victime des préjugés, il trouvera dans d’absurdes maximes un obstacle invincible aux justes vœux de son cœur. Les hommes le puniront d’avoir des sentiments droits de chaque chose, et d’en juger par ce qui est véritable plutôt que par ce qui est de conventions… Il cherchera la félicité suprême sans se souvenir qu’il est homme ; son cœur et sa raison seront incessamment en guerre, et des désirs sans bornes lui prépareront d’éternelles privations.

Garde-toi donc de tomber dans un abattement dangereux qui t’avilirait plus que ta faiblesse. Le véritable amour est-il fait pour dégrader l’âme ? Qu’une faute que l’amour a commise ne t’ôte point ce noble enthousiasme de l’honnête et du beau, qui t’éleva toujours au-dessus de toi-même.

…Le véritable amour est le plus chaste de tous les liens. C’est lui, c’est son feu divin qui sait épurer nos penchants naturels, en les concentrant dans un seul objet ; c’est lui qui nous dérobe aux tentations, et qui fait qu’excepté cet objet unique un sexe n’est plus rien pour l’autre. Pour une femme ordinaire, tout homme est toujours un homme ; mais pour celle dont le cœur aime, il n’y a point d’homme que son amant. Que dis-je ? Un amant n’est-il qu’un homme ? Ah ! qu’il est un être bien plus sublime ! Il n’y a point