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jean-jacques rousseau

tantôt gai, fera lui-même partie de mon histoire… »

Cette richesse de rythmes et d’émotions eût pu dangereusement dégénérer en confusion, si le musicien-né qui était en lui n’eût tenu la baguette de chef d’orchestre. Il écrivait en 1760 à son imprimeur Rey qu’il était avant tout un musicien, pour qui « l’harmonie était d’une si grande importance en fait de style qu’il la mettait immédiatement après la clarté, même avant la correction ». Il eût sacrifié au besoin la vérité du récit, il sacrifiait délibérément la grammaire, pour ne pas compromettre l’harmonie. Chez lui, les idées venaient après les rythmes. Il chantait d’abord en soi ses périodes et ses phrases, avant d’en fixer les mots. Il a été, sans s’en douter, un grand poète en prose et le précurseur du romantisme français, non moins par ses mètres et ses rythmes que par sa sensibilité et ses idées. Chateaubriand et Lamartine sont sortis de lui. Michelet et George Sand en ont été imprégnés.

Toute la pédagogie moderne s’est inspirée de son « Emile », de sa connaissance de l’enfant. Le plus célèbre institut de l’éducation nouvelle, à Genève, a pris son nom. Il s’est montré, lui, si faible pour lui-même, un admirable directeur de conscience, ferme et lucide, sans raideur. Il avait un généreux instinct de la morale vraie, saine et vivante, point dogmatique, point abstraite, point assujettie à des principes ou à un Credo, mais adaptée aux