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jean-jacques rousseau

des convenances de la société et de la littérature du bon ton, il avait parlé seulement de soi. Il avait découvert le vrai moi. Il avait travaillé, comme il disait, « dans la chambre obscure », sans autre art que « de suivre exactement les traits qu’il voyait marqués ». Il n’était jamais las de s’observer. Nul ne l’avait encore fait, à ce degré, en France, à part Montaigne : encore Rousseau le taxe-t-il d’avoir posé pour le public.

Or, en s’exprimant ainsi sans pudeur, il mettait à nu et il étalait ce que des milliers d’êtres de son époque étaient forcés de comprimer. Il libéra l’âme moderne, il lui apprit à briser ses liens, à se connaître et à se dire.

Ajoutons que, pour exprimer ce monde nouveau, il lui avait fallu créer une langue nouvelle, libre et diverse :

« Je prends mon parti sur le style comme sur les choses. Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme ; j’aurai toujours celui qui me viendra, j’en changerai selon mon humeur, sans scrupule ; je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans gêne, sans m’embarrasser de la bigarrure. En me livrant à la fois au souvenir de l’impression reçue et au sentiment présent, je peindrai doublement l’état de mon âme, savoir au moment où l’événement m’est arrivé, et au moment où je l’ai décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et