Il faut, pour qu’il s’y décide, que sa vie lui soit d’un moindre prix que le salut du monde. Mieux vaut une petite phalange de Résistants passifs, prêts à tout subir et à tout vaincre moralement, qu’une troupe nombreuse et incertaine, qui lâcherait pied au premier choc et accuserait ses chefs de l’avoir abusée.
Quant aux aptitudes de notre Europe à la Résistance passive — (que j’appelle d’un nom plus énergique : la Non-Acceptation) — notre Europe les a prouvées depuis longtemps. Elle n’a pas attendu Tolstoï et Gandhi pour pratiquer cette doctrine — qui remonte aux premiers temps de la chrétienté d’Occident. À quelques heures de chez moi, dans le défilé de Saint-Maurice-en-Valais, au pied de la Dent du Midi, fut massacrée la Légion Thébaine, martyre de la Non-Violence chrétienne.
Tolstoï a eu en Europe une famille de précurseurs. Un des plus marquants fut, au xve siècle, le Hussite de Bohême, Peter Cheltschitzki. Son livre principal, Das Netz des Glaubens, a été récemment republié en allemand, avec une préface du président Masaryk.
Mais il y a plus : comment est-il possible d’oublier que l’héroïque Pologne de 1860 a signé de son sang l’Évangile de la Non-Violence, — les « Psaumes de l’avenir » de son grand poète Krasinsky ? En 1861, la population de Varsovie s’est laissée fusiller par les troupes de Gortchakoff, sans vouloir se défendre. En vain, Gortchakoff, exaspéré, leur criait : « Prenez des armes ! Battez-vous ! »
« Faut-il être meurtrier avec les meurtriers, criminel avec les criminels ? avait chanté Krasinski. Le monde nous crie : « À ce prix, à vous la puissance et la liberté ! Sinon, rien !… » Non, mon âme, non, pas avec ces armes ! Ô ma patrie, sois l’inflexible volonté et l’humble recueillement, sois le calme dans la tempête ; dans ton combat