PROLOGUE[1]
Ce n’est qu’en août 1914 que je suis entré, bien malgré moi, dans la politique. Jusqu’alors, j’étais imprégné de l’idéologie de mon temps et de ma classe, que je dénonce, à la fin de cette Introduction, l’idéologie de l’homme abstrait, détaché (on disait alors, libéré) des contingences de la vie politique et sociale. Il n’eût pas semblé digne à un écrivain de s’en occuper. Dans ma jeunesse, j’avais vu en France les maîtres des lettres : Alphonse Daudet, Goncourt, Zola lui-même, répondre dédaigneusement à une enquête, que peu leur importaient la paix, la guerre, l’Alsace-Lorraine, tous les débats de la politique : l’art était seul leur intérêt et leur devoir. — Si les passions de l’affaire Dreyfus les arrachèrent, un moment, à cette olympienne indifférence — (ce n’est pas ici le lieu d’analyser les raisons exceptionnelles, qui ne furent pas toutes de raison pure, de leur participation à cette mêlée) — ils eurent bientôt fait d’y replonger, à part ceux qui, comme Maurras et Barrès, se sont taillé dans la politique une carrière.
J’étais de ceux que touchaient le plus les préoccupations sociales ; et la critique, bon chien de garde de la société, me faisait grief de les introduire illicitement dans la propriété réservée de l’art. Mon Jean-Christophe et son Pylade, au fond du cœur, eussent été peut-être du même avis, ils n’eussent peut-être pas demandé mieux que de se renfermer, l’un dans ses livres, l’autre dans ses notes de musique, si les préoccupations sociales ne fussent
- ↑ Les notes de l’Introduction, formant un commentaire historique assez long, ont été reportées à la fin.