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Symphonie héroique : Bonaparte (1804)[1], l’Iliade de l’Empire, et le finale de la Symphonie en ut mineur (1805-1808), l’épopée de la Gloire. Première musique vraiment révolutionnaire : l’âme du temps y revit avec l’intensité et la pureté qu’ont les grands événements dans les grandes Âmes solitaires, dont les impressions ne sont pas amoindries par le contact de la réalité. La

  1. On sait que la Symphonie héroïque fut écrite pour et sur Bonaparte, et que le premier manuscrit porte encore le titre : Buonaparte. Sur ces entrefaites, Beethoven apprit le couronnement de Napoléon. Il entra en fureur : « Ce n’est donc qu’un homme ordinaire ! » cria-t-il ; et dans son indignation, il déchira la dédicace, et écrivit ce titre vengeur et touchant à la fois : « Symphonie héroïque… pour célébrer le souvenir d’un grand Homme. » (Sinfonia eroica… composta per festeggiare il sovvenire di un grand Uomo.) Schindler raconte que dans la suite, il se départit un peu de son mépris pour Napoléon ; il ne vit plus en lui qu’un malheureux digne de compassion, un Icare précipité du ciel. Quand il apprit la catastrophe de Sainte-Hélène, en 1821, il dit : « Il y a dix sept ans que j’ai écrit la musique qui convient à ce triste événement. » Il se plaisait a reconnaître dans la Marche funèbre de sa symphonie un pressentiment de la fin tragique du conquérant. — Il est donc bien probable que la Symphonie héroïque, et surtout son premier morceau, était, dans la pensée de Beethoven, une sorte de portrait de Bonaparte, très différent du modèle, sans doute, mais tel qu’il l’imaginait, et tel qu’il l’eut voulu : le génie de la Révolution. Beethoven reprend d’ailleurs dans le finale de l’Héroïque une des phrases principales de la partition qu’il avait déjà écrite pour le héros révolutionnaire par excellence, le dieu de la Liberté : Prométhée (1801).