il en montre les ridicules, la pauvreté, l’hypocrisie, la corruption foncière. Il fait table rase. Il apporte à cette démolition la joie d’un enfant qui massacre ses jouets. Toute cette partie critique est souvent pleine d’humour, mais aussi d’injustice : c’est la guerre. Tolstoï se sert de toutes armes et frappe au hasard, sans regarder au visage ceux qu’il frappe. Bien souvent, il arrive — comme dans toutes les batailles — qu’il blesse tels de ceux qu’il eût été de son devoir de défendre : Ibsen ou Beethoven. C’est la faute de son emportement qui ne lui laisse pas le temps de réfléchir assez avant d’agir, de sa passion qui l’aveugle souvent sur la faiblesse de ses raisons, et — disons-le — c’est aussi la faute de sa culture artistique incomplète.
En dehors de ses lectures littéraires, que peut-il bien connaître de l’art contemporain ? Qu’a-t-il pu voir de la peinture, qu’a-t-il pu entendre de la musique européenne, ce gentilhomme campagnard, qui a passé les trois quarts de sa vie dans son village moscovite, qui n’est plus venu en Europe depuis 1860 ; — et qu’y a-t-il vu alors, à part les écoles, qui seules l’intéressaient ? — Pour la peinture, il en parle d’après ouï-dire, citant pêle-mêle, parmi les décadents, Puvis, Manet, Monet, Bœcklin, Stuck, Klinger, admirant de confiance, à cause de leurs bons sentiments, Jules Breton et Lhermitte, méprisant Michel-Ange, et, parmi les peintres de l’âme, ne faisant pas une fois mention de Rembrandt. — Pour la musique, il la sent