Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/124

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beaucoup mieux[1], mais ne la connaît guère : il en reste à ses impressions d’enfance, s’en tient à ceux qui étaient déjà des classiques vers 1840, n’a rien appris à connaître depuis, (à part Tschaikovsky, dont la musique le fait pleurer) ; il jette au fond du même sac Brahms et Richard Strauss, fait la leçon à Beethoven[2], et, pour juger Wagner, croit en savoir assez après une seule représentation de Siegfried où il arrive après le lever du rideau et d’où il part au milieu du second acte[3]. — Pour la littérature, il est (cela va sans dire) un peu mieux informé. Mais par quelle étrange aberration évite-t-il de juger les écrivains russes qu’il connaît bien et se mêle-t-il de faire la loi aux poètes étrangers, dont l’esprit est le plus loin du sien et dont il feuillette les livres avec une hautaine négligence[4] !

Son intrépide assurance augmente encore avec

  1. Je reviendrai sur ce point à propos de La Sonate à Kreutzer.
  2. Son intolérance s’était accrue depuis 1886. Dans Que devons-nous faire ? il n’osait pas encore toucher à Beethoven (ni à Shakespeare). Bien plus, il reprochait aux artistes contemporains d’oser s’en réclamer. « L’activité des Galilée, des Shakespeare, des Beethoven n’a rien de commun avec celle des Tyndall, des Victor Hugo, des Wagner. De même que les Saints Pères renieraient toute parenté avec les papes. » (Que devons-nous faire ? p. 375.)
  3. Encore voulait-il partir avant la fin du premier. « Pour moi, la question était résolue. Je n’avais plus de doute. Il n’y avait rien à attendre d’un auteur capable d’imaginer des scènes comme celles-ci. On pouvait affirmer d’avance qu’il n’écrirait jamais rien qui ne fût mauvais. »
  4. On sait que, pour faire un choix parmi les poètes français des écoles nouvelles, il a cette idée admirable de « copier, dans chaque volume, la poésie qui se trouvait à la page 28 » !