Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/128

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des hommes de lettres. Mais pourquoi perdre son temps à parler de ce qu’on ne peut comprendre, et quelle valeur peuvent avoir des jugements sur un monde qui vous est fermé ?

Valeur nulle, si nous y cherchons la clef de ces mondes étrangers. Valeur inestimable, si nous leur demandons la clef de l’art de Tolstoï. On ne réclame pas d’un génie créateur l’impartialité critique. Quand un Wagner, quand un Tolstoï parlent de Beethoven ou de Shakespeare, ce n’est pas de Beethoven ou de Shakespeare qu’ils parlent, c’est d’eux-mêmes : ils exposent leur idéal. Ils n’essaient même pas de nous donner le change. Pour juger Shakespeare, Tolstoï ne tâche pas de se faire « objectif ». Bien plus, il reproche à Shakespeare son art objectif. Le peintre de Guerre et Paix, le maître de l’art impersonnel n’a pas assez de mépris pour ces critiques allemands, qui, à la suite de Goethe, « inventèrent Shakespeare » et « la théorie que l’art doit être objectif, c’est-à-dire représenter les événements, en dehors de toute valeur morale, — ce qui est la négation délibérée de l’objet religieux de l’art ».

Ainsi, c’est du haut d’une foi que Tolstoï édicte ses jugements artistiques. Ne cherchez dans ses critiques nulle arrière-pensée personnelle. Il ne se donne pas en exemple ; il est aussi impitoyable pour ses œuvres que pour celles des autres[1]. Que

  1. Il range dans « l’art mauvais » ses « œuvres d’imagination ». (Qu’est-ce que l’Art ?) — Il n’excepte pas de sa condamnation de l’art moderne ses propres pièces de théâtre, « dénuées de