Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/177

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les Doukhobors du Caucase, dès 1898, les Géorgiens de la Gourie, vers 1905. Tolstoï agit beaucoup moins sur ces mouvements qu’ils n’agirent sur lui ; et l’intérêt de ses écrits est justement qu’en dépit de ce qu’ont prétendu les écrivains du parti de la révolution, comme Gorki[1], il fut la voix du vieux peuple russe.

L’attitude qu’il garda, vis-à-vis des hommes qui mettaient en pratique, au péril de leur vie, les principes qu’il professait[2], fut très modeste et très digne. Pas plus avec les Doukhobors et les Gouriens qu’avec les soldats réfractaires, il ne se pose en maître qui enseigne.

  1. Après la condamnation par Tolstoï de l’agitation des Zemstvos, Gorki, se faisant l’interprète du mécontentement de ses amis, écrivait : « Cet homme est devenu l’esclave de son idée. Il y a longtemps qu’il s’isole de la vie russe et n’écoute plus la voix du peuple. Il plane trop haut au-dessus de la Russie. »
  2. C’était pour lui une souffrance cuisante de ne pouvoir être persécuté. Il avait la soif du martyre ; mais le gouvernement, fort sage, se gardait bien de la satisfaire.

    « Autour de moi, on persécute mes amis et on me laisse tranquille, bien que, s’il y a quelqu’un de nuisible, ce soit moi. Évidemment, je ne vaux pas la persécution, et j’en suis honteux. » (Lettre à Ténéromo, 1892, Corresp. inéd., p. 184.)

    « Évidemment, je ne suis pas digne des persécutions, et il me faudra mourir ainsi, sans avoir pu, par des souffrances physiques, témoigner de la vérité. » (À Ténéromo, 16 mai 1892, ibid., p. 186.)

    « Il m’est pénible d’être en liberté. » (À Ténéromo, 1er juin 1894, ibid., p. 188.)

    Dieu sait pourtant qu’il ne faisait rien pour cela ! Il insulte les Tsars, il attaque la patrie, « cet horrible fétiche auquel les hommes sacrifient leur vie et leur liberté et leur raison » (La Fin d’un Monde.) — Voir, dans Guerre et Révolution, le résumé qu’il trace de l’histoire de Russie. C’est une galerie de monstres : « le détraqué Ivan le Terrible, l’aviné Pierre i, l’ignorante cuisinière Catherine i, la débauchée Elisabeth, le dégénéré Paul, le parricide Alexandre i » (le seul pour qui Tolstoï ait pourtant une