Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/71

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talement rompue, la révélation de l’immensité sereine. Étendu sur le dos, « il ne voit plus rien que très haut au-dessus de lui un ciel infini, profond, où voguaient mollement de légers nuages grisâtres. »

Quel calme ! Quelle paix ! se disait-il, quelle différence avec ma course forcenée ! Comment ne l’avais-je pas remarqué plus tôt, ce haut ciel ? Comme je suis heureux de l’avoir enfin aperçu ! Oui, tout est vide, tout est déception, excepté lui… Il n’y a rien, hors lui… Et Dieu en soit loué !

Cependant, la vie le reprend, et la vague retombe. Abandonnées de nouveau à elles-mêmes, dans l’atmosphère démoralisante des villes, les âmes découragées, inquiètes, errent au hasard dans la nuit. Parfois, au souffle empoisonné du monde se mêlent les effluves enivrants et affolants de la nature, le printemps, l’amour, les forces aveugles, qui rapprochent du prince André la charmante Natacha, et qui, l’instant d’après, la jettent dans les bras du premier séducteur venu. Tant de poésie, de tendresse, de pureté de cœur, que le monde a flétries ! Et toujours « le grand ciel qui plane sur l’abjection outrageante de la terre ». Mais les hommes ne le voient pas. Même André a oublié la lumière d’Austerlitz. Pour lui, le ciel n’est plus « qu’une voûte sombre et pesante », qui recouvre le néant.

Il est temps que se lève de nouveau sur ces