Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/87

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Ces angoisses de Levine, ces velléités de suicide qu’il cachait à Kitty, Tolstoï au même moment les cachait à sa femme. Mais il n’avait pas encore atteint le calme qu’il prêtait à son héros. À vrai dire, ce calme n’est guère communicatif. On sent qu’il est désiré plus que réalisé, et que tout à l’heure Levine retombera dans ses doutes. Tolstoï n’en était pas dupe. Il avait eu bien de la peine à aller jusqu’au bout de son œuvre. Anna Karénine l’ennuyait, avant qu’il eût fini[1]. Il ne pouvait plus travailler. Il restait là, inerte, sans volonté, en proie au dégoût et à la terreur de lui-même. Alors, dans le vide de sa vie, se leva le grand vent qui sortait de l’abîme, le vertige de la mort. Tolstoï a raconté ces terribles années, plus tard, quand il venait d’échapper au gouffre[2].

  1. « Maintenant, je m’attelle de nouveau à l’ennuyeuse et vulgaire Anna Karénine, avec le seul désir de m’en débarrasser au plus vite… » (Lettres à Fet, 26 août 1875, Corresp. inéd. p. 95.)

    « Il me faut achever le roman qui m’ennuie. » (Ibid. 1er mars 1876.)

  2. Dans les Confessions (1879), t. xix des Œuvres complètes.