Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/93

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juger ce qui le choquait, s’inventant des explications pour ce qu’il trouvait obscur ou incompréhensible, s’unissant dans leur foi à tous ceux qu’il aimait, vivants ou morts, et toujours gardant l’espoir qu’à un certain moment « l’amour lui ouvrirait les portes de la vérité ». — Mais il avait beau faire : sa raison et son cœur se révoltaient. Tels actes, comme le baptême et la communion, lui semblaient scandaleux. Quand on le força à répéter que l’hostie était le vrai corps et le vrai sang du Christ, « il en eut comme un coup de couteau au cœur ». Ce ne furent pourtant pas les dogmes qui élevèrent entre lui et l’Église un mur infranchissable, mais les questions pratiques, — deux surtout : l’intolérance haineuse et mutuelle des Églises[1], et la sanction, formelle ou tacite, donnée à l’homicide, — la guerre et la peine de mort.

Alors Tolstoï brisa net ; et sa rupture fut d’autant plus violente que depuis trois années il comprimait sa pensée. Il ne ménagea plus rien. Avec emportement, il foula aux pieds cette religion, que la veille encore il s’obstinait à pratiquer. Dans sa Critique de la théologie dogmatique (1879-1881), il la traita non seulement « d’insanité, mais de mensonge conscient et intéressé[2] ». Il lui opposa

  1. « Moi, qui plaçais la vérité dans l’unité de l’amour, je fus frappé de ce fait que la religion détruisait elle-même ce qu’elle voulait produire. » (Confessions, p. 111.)
  2. « Et je me suis convaincu que l’enseignement de l’Église est, théoriquement, un mensonge astucieux et nuisible, pratiquement, un composé de superstitions grossières et de sorcelleries, sous