Page:Rolland Clerambault.djvu/132

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des hommes intelligents, sérieux, honorables, ne rougissaient pas d’user des petites ruses employées par la femme ou l’enfant qui veut avoir raison. Dans la peur d’une discussion qui eût pu les troubler, ils sautaient sur le premier mot maladroit de Clerambault, l’isolaient du contexte, au besoin le maquillaient, et s’enflammaient dessus, faisaient la grosse voix, les yeux sortant de la tête, paraissant indignés et finissant par l’être, sincèrement, à crever ; — répétaient mordicus, même après la preuve faite ; — obligés de la reconnaître, parlaient, claquant les portes : « Et en voilà assez ! » — deux jours après, ou dix, reprenaient l’argument effondré, comme si de rien n’était.

Quelques-uns, plus perfides, provoquaient l’imprudence qui devait leur servir, poussaient avec bonhomie Clerambault à dire plus qu’il ne voulait, et soudain, explosaient. Les plus bienveillants l’accusaient de manquer de bon sens, (« Bon » veut dire : « c’est le mien ! »)

Il y avait aussi les beaux parleurs, qui, n’ayant rien à craindre d’une joute de mots, acceptaient l’entretien, se flattaient de ramener l’égaré au bercail. Ils ne discutaient pas le fond de sa pensée, mais son opportunité ; ils faisaient appel aux bons sentiments de Clerambault :

— « Certainement, certainement, vous avez raison, au fond ; au fond, je pense comme vous, je pense presque comme vous ; je vous comprends, cher ami… Mais, cher ami, prenez garde, évitez de troubler les consciences des combattants ! Toute vérité n’est pas bonne à dire, — du moins, pas tout de suite. La vôtre