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Page:Rolland Clerambault.djvu/138

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l’autre : « Qu’est-ce que la vérité ? »… Je l’aime, comme vous, et peut-être, depuis plus longtemps que vous… La Vérité, mon ami, est plus haute et plus vaste que vous, que nous, que tous ceux qui ont vécu, qui vivent et qui vivront. En croyant servir la Grande Déesse, nous ne servons jamais que les Di minores, les saints des chapelles latérales, que la foule tour à tour adule et délaisse. Celui en l’honneur de qui le monde d’aujourd’hui s’égorge ou se mutile avec une frénésie de Corybante, ne peut évidemment plus être le vôtre ni le mien. L’idéal de la patrie est un grand dieu cruel, qui laissera dans l’avenir l’image d’un Cronos croquemitaine ou de son fils l’Olympien que Christ a dépassé. Votre idéal d’humanité est l’échelon supérieur, l’annonce du dieu nouveau. Et ce dieu sera lui-même plus tard détrôné par un autre plus haut encore qui embrassera plus d’univers. L’idéal et la vie ne cessent d’évoluer. Ce devenir constant est, pour un esprit libre, le véritable intérêt du monde. — Mais si l’esprit peut impunément brûler les étapes, dans le monde des faits on avance pas à pas ; et, en toute une vie, c’est à peine si l’on gagne quelques pouces de terrain. L’humanité traîne la jambe. Votre tort, votre seul tort, est d’être en avance sur elle, d’une ou plusieurs journées. Mais ce tort est de ceux qu’on pardonne le moins… Non sans raison, peut-être. Quand un idéal vieillit, comme celui de la patrie, avec la forme de société qui en dépend étroitement, il s’exaspère et jette un feu forcené ; la moindre atteinte à sa légitimité le rend féroce : car en lui-même déjà le doute est entré. Ne vous y