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Page:Rolland Clerambault.djvu/140

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sur les bras du fauteuil, les mains jointes sur son bedon bouddhique et se tournant les pouces, regarda Clerambault avec bonhomie, hocha la tête et dit :

— Votre cœur généreux, votre sensibilité d’artiste vous abusent, heureusement, mon ami. Le monde n’est pas près de finir. Il en a vu bien d’autres ! Et il en verra d’autres. Ce qui se passe aujourd’hui est certes fort pénible, mais anormal, non pas. La guerre n’a jamais empêché la terre de tourner, ni la vie d’évoluer. C’est même l’une des formes de son évolution. Permettez à un vieux savant, philosophe, d’opposer à votre saint Homme de douleur l’inhumanité calme de sa pensée. Peut-être y trouverez-vous, malgré tout, un bienfait. — Cette crise qui vous épouvante, cette grande mêlée, n’est rien de plus, en somme, qu’un simple phénomène de systole, une contraction cosmique, tumultueuse et ordonnée, analogue aux plissements de la croûte terrestre, accompagnés de tremblements destructeurs. L’humanité se resserre. Et la guerre est son sisme. Hier, c’étaient, dans chaque nation, les provinces en guerre ; avant-hier, dans chaque province, les villes. Maintenant que les unités nationales sont accomplies, une unité plus vaste s’élabore. Il est évidemment regrettable que ce soit par la violence. Mais c’est le moyen naturel. Du mélange détonant des éléments qui se heurtent, un nouveau corps chimique va naître. Sera-ce l’Occident, ou l’Europe ? Je ne sais. Mais, sûrement, le composé sera doué de propriétés nouvelles, plus riches que les composants. On n’en restera pas là. Si belle que soit la guerre à