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Page:Rolland Clerambault.djvu/143

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— Mon cher Bodhisattvâ, qu’est-ce que vous voulez faire ? Qu’est-ce que vous voulez sauver ?

— Oh ! je sais bien, dit Clerambault, baissant la tête, je sais bien le peu que je suis, je sais bien le peu que je puis, l’inanité de mes vœux et de mes protestations. Ne me croyez pas si vain ! Mais qu’y puis-je, si mon devoir me commande de parler ?

— Votre devoir est de faire ce qui est utile et raisonnable ; il ne peut être de vous sacrifier en vain.

— Et que savez-vous de ce qui est en vain ? Êtes-vous sûr d’avance du grain qui germera et de celui qui pourrira, stérile ? Est-ce une raison pour ne pas semer ? Quel progrès eût jamais été accompli, si celui qui en portait le germe s’était arrêté, terrifié, devant le bloc énorme et prêt à l’écraser, de la routine du passé ?

— Je comprends que le savant défende la vérité qu’il a trouvée. Mais vous, cette action sociale, est-ce bien votre mission ? Poète, gardez vos rêves, et que vos rêves vous gardent !

— Avant d’être poète, je suis homme. Tout honnête homme a une mission.

— Vous portez en vous des valeurs de l’esprit trop précieuses. C’est un meurtre de les sacrifier.

— Oui, vous laissez le sacrifice aux petites gens, qui n’ont pas grand’chose à perdre…

Il se tut un moment et reprit :

— Perrotin, j’ai souvent pensé : nous ne faisons pas notre devoir. Nous tous, hommes de pensée, artistes… Pas seulement aujourd’hui. Depuis longtemps.