Aller au contenu

Page:Rolland Clerambault.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

groupée en un pays, ou en un temps. Ses éléments sont dispersés à travers les peuples et les siècles. Pour un conservateur, ils sont dans le passé. Les révolutionnaires et les persécutés les trouvent dans l’avenir. Avenir et passé ne sont pas moins réels que le présent immédiat, dont le mur borne les regards satisfaits du troupeau. Et le présent, lui-même, n’est pas tel que voudraient le faire croire les divisions arbitraires des États, des nations, et des religions. L’humanité actuelle est un bazar de pensées ; sans les avoir triées, on les a mises en tas, que séparent des clôtures hâtivement construites : ainsi, les frères sont séparés des frères, et parqués avec des étrangers. Chaque État englobe des races différentes, qui ne sont nullement faites pour penser et agir ensemble ; chacune des familles ou des belles-familles morales qu’on appelle des patries, enveloppe des esprits qui, en fait, appartiennent à des familles différentes, actuelles, passées, ou à venir. Ne pouvant les absorber, elle les opprime ; ils n’échappent à la destruction que par des subterfuges : — soumission apparente, rébellion intérieure, — ou par la fuite : — exilés volontaires, Heimatlos. Leur reprocher d’être insoumis à la patrie, c’est reprocher aux Irlandais, aux Polonais, d’échapper à l’engloutissement par l’Angleterre ou par la Prusse. Ici et là, ces hommes restent fidèles à la vraie Patrie. Ô vous qui prétendez que cette guerre a pour but de rendre à chaque peuple le droit de disposer de soi, quand rendrez-vous ce droit à la République dispersée des libres âmes du monde entier ?