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Page:Rolland Clerambault.djvu/182

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assez à faire de lutter contre lui-même, pour ne pas consacrer beaucoup de temps à la conquête du public. Aussi, ses premiers livres, péniblement édités, ne dépassèrent pas un cercle de dix lecteurs. Il faut rendre cette justice à Bertin qu’il était des dix, et qu’il savait apprécier le talent de Clerambault. Il le disait même, à l’occasion ; et tant que Clerambault ne fut pas connu, il se donna le luxe de le défendre, — non sans ajouter aux éloges quelques conseils amicaux et protecteurs, que Clerambault ne suivait pas toujours, mais que toujours il écoutait avec le même respect affectueux.

Et puis, Clerambault fut connu. Et puis, ce fut la gloire. Bertin, bien étonné, content sincèrement du succès de l’ami, un peu vexé tout de même, laissait entendre qu’il le trouvait exagéré et que le meilleur Clerambault était le Clerambault inconnu, — celui d’avant la renommée. Il entreprenait parfois de le démontrer à Clerambault, qui ne disait ni oui ni non, car il n’en savait rien, et ne s’en occupat guère : il avait toujours une nouvelle œuvre en tête. — Les deux vieux camarades étaient restés en excellents termes ; mais ils avaient laissé leurs relations peu à peu s’espacer.

La guerre avait fait de Bertin un furieux cocardier. Autrefois, au lycée, il scandalisait le provincial Clerambault par son irrespect effronté pour toutes les valeurs, politiques ou sociales : patrie, morale, religion. Dans ses œuvres littéraires, il avait continué de promener son anarchisme, mais sous une forme sceptique, mondaine et lassée, qui répondait au goût de sa