Page:Rolland Clerambault.djvu/202

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ne faisait pas plus fière mine. Pour être beaucoup plus humble, la bataille où il la menait, n’en était que plus rude : car il s’y trouvait seul et sans armée. Le spectacle qu’il s’offrait à lui-même, en cette veillée d’armes, était humiliant. Il se voyait à nu, dans sa médiocrité, — un pauvre homme timide de nature, un peu lâche, ayant besoin des autres, de leur affection, de leur approbation ; il lui était affreusement pénible de rompre avec eux ses liens, d’aller tête baissée au-devant de leur haine Serait-il assez fort pour résister ? — Et les doutes, dispersés, revenaient à l’assaut. Qui le forçait à parler ? Qui l’entendrait ? A quoi cela servirait-il ? N’avait-il pas l’exemple des plus sages qui se taisaient ?

Et cependant, son cerveau résolu continuait de lui dicter ce qu’il devait écrire ; et sa main l’écrivait, sans atténuer un mot. Il était comme deux hommes : l’un prostré, qui avait peur et criait : « Je ne veux pas aller me battre ! » — l’autre qui, dédaigneux de convaincre le lâche, le traînait par le collet, et disait : « Tu iras ! ».

Ce serait toutefois lui faire trop d’honneur que penser qu’il agissait ainsi, par courage. Il agissait ainsi parce qu’il ne pouvait pas autrement. Quand même il eût voulu s’arrêter, il lui fallait marcher, parler… « C’est ta mission ». Il ne comprenait pas, il se demandait pourquoi c’était lui justement qui avait été choisi, lui, poète de tendresse, fait pour une vie calme, sans lutte, sans sacrifices, tandis que d’autres hommes, vigoureux, aguerris, taillés pour le combat, ayant l’âme d’athlètes, restaient inemployés. — « Inutile de discuter. Obéis. C’est ainsi ».