Page:Rolland Clerambault.djvu/223

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lourde journée, erré de pièce en pièce à travers la maison, à la quête d'un souffle à respirer, une lettre arriva, qui avait réussi à passer entre les mailles du filet. Un vieil homme comme lui, un instituteur de village, dans une vallée perdue du Dauphiné, disait :

« La guerre m'a tout pris. De ceux que je connaissais, elle a tué les uns ; les autres, je ne les reconnais plus. Tout ce qui me faisait vivre, mon espoir de progrès, ma foi en un avenir de raison fraternelle, ils trépignent dessus. Je mourais de désespoir, quand le hasard d'un journal qui vous insultait m'a fait connaître vos articles « Aux morts » et « A celle qu'on a aimée ». Je les ai lus et j'ai pleuré de joie. On n'est donc point tout seul ? On ne souffre pas tout seul ? Vous y croyez encore, Monsieur, à cette foi, dites-moi, vous y croyez ? Elle existe toujours, ils ne la tueront pas ? Ah ! que cela fait du bien ! Je finissais par douter. Pardon. Mais on est vieux, on est seul, on est bien las... Je vous bénis, Monsieur. Maintenant, je mourrai tranquille. Maintenant, je sais, grâce à vous, que je ne me suis pas trompé... »

Ce fut, instantanément, comme si l'air rentrait par une fissure. Les poumons se gonflèrent, le cœur se remit à battre, la source de vie se rouvrit et recommença de remplir le lit de l'âme desséchée. Ô besoin que l'on a de l'amour les uns des autres !... Main tendue, à l'heure de mon angoisse, main qui m'as fait sentir que je n'étais pas une branche arrachée de l'arbre, mais que je tiens au cœur, je te sauve et tu me sauves ; je te donne ma force, elle meurt si tu ne la prends. La