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Page:Rolland Clerambault.djvu/222

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bassesse remplissait le pays (tous les pays) de policiers volontaires, gens du monde, gens de lettres, en grand nombre embusqués, qui achetaient leur sécurité en vendant celle des autres, et couvraient leurs dénonciations du nom de la patrie. Grâce à ces délateurs, les pensées libres qui se cherchaient ne parvenaient point à se donner la main. L’énorme monstre, l’État, avait une peur soupçonneuse de la demi-douzaine de personnalités libres, seules, faibles, démunies, — tant lui cuisait l’épine de sa mauvaise conscience ! Et chacune de ces âmes libres, encerclée par une surveillance occulte, se rongeait dans sa geôle ; et, ne pouvant savoir que d’autres souffraient de même, se mourait lentement, dans les glaces polaires, gelée en son désespoir.

L’âme que Clerambault portait sous sa peau était trop brûlante pour se laisser recouvrir par le linceul de neige. Mais l’âme ne suffit pas. Le corps est une plante qui a besoin de terre humaine. Privé de sympathie, réduit à se nourrir de sa propre substance, il dépérit. Tous les raisonnements de Clerambault pour se prouver que sa pensée répondait à celle de milliers d’inconnus, ne remplaçait pas le contact réel d’un seul cœur vivant. La foi suffit à l’esprit. Mais le cœur est saint Thomas. Il a besoin de toucher.

Clerambault n’avait pas prévu cette défaillance physique. L’asphyxie. La peau sèche, le sang bu par le corps brûlé, les sources de vie taries. Sous la cloche pneumatique. Un mur le séparait de l’air.

Or, un soir qu’il avait, comme un phtisique par une