Page:Rolland Clerambault.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Clerambault se cacha la figure dans ses mains et se mit à gémir.

— Qu’avez vous ? dit Moreau. Vous êtes souffrant ?

— Vous venez de me rappeler le mal que j’ai fait.

— Vous ? Mais non, ce sont les autres.

— Moi, comme les autres. Pardonnez-nous à tous.

— Vous êtes le dernier qui devriez le dire.

— Je dois être le premier, car je suis un des rares qui se rendent compte de leur crime.

Et il commença un réquisitoire contre sa génération, — qu’il interrompit, d’un geste découragé.

— Tout cela ne répare rien. Dites-moi ce que vous avez souffert.

Il y avait dans sa voix tant d’humilité que Moreau se sentit inondé d’affection pour le vieil homme qui s’accusait. Sa défiance s’était fondue. Il ouvrit la porte secrète de sa pensée amère et meurtrie. Il avoua que, plusieurs fois déjà, il était venu jusqu’à l’entrée de la maison, sans se décider à remettre sa lettre, — (que, du reste, il se refusait à montrer). — Depuis sa sortie de l’hôpital, il n’avait pu causer avec personne. Les gens de l’arrière le révoltaient par l’étalage de leurs petites préoccupations, de leurs affaires, de leurs plaisirs, des restrictions à leurs plaisirs, de leur égoïsme, de leur ignorance et de leur incompréhension. Il était un étranger parmi eux, plus que chez les sauvages d’Afrique. D’ailleurs, — (il s’interrompit, reprit, par demi-mots gênés et irrités, qui lui restaient accrochés au gosier) — ce n’était pas seulement parmi eux, c’était parmi tous les hommes, qu’il était un étranger ; retran-