Page:Rolland Clerambault.djvu/260

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ne pliez point ! On vous enseigne qu’une fois donné, dans la bataille, l’ordre d’attaque, il est encore plus dangereux de reculer que d’avancer. Ne vous retournez donc plus, laissez derrière vous vos ruines, et marchez vers le monde nouveau !

A mesure qu’il parlait, il voyait les yeux de son jeune auditeur, qui semblaient dire :

— Encore ! Encore plus ! Plus que des espérances ! Donne-moi des certitudes, donne-moi la victoire prochaine !

Il y a chez tous les hommes un tel besoin de leurre ! Même chez les meilleurs. En échange de leurs sacrifices à l’idéal entrevu, il faut qu’on leur promette la réalisation prochaine de cet idéal, ou au moins une compensation éternelle, comme font les religions. Jésus ne fut suivi que parce qu’on lui prêta l’assurance d’une victoire ici-bas, ou là-haut. — Mais qui veut être vrai ne peut pas promettre la victoire. Il ne peut pas ignorer les risques : peut-être ne sera-t-elle pas atteinte ; en tout cas, pas d’ici à longtemps. Pour les disciples, une telle pensée est d’un pessimisme accablant. Le maître cependant, lui, n’est pas pessimiste. Il a le calme de l’homme qui, après une montée, embrasse d’en haut l’ensemble de la contrée. Eux ne voient que la pente aride à monter. Comment leur communiquer ce calme ?… Mais s’ils ne peuvent pas voir par les yeux du maître, ils peuvent voir ses yeux, où se reflète la vision qui leur est refusée ; ils y puisent l’assurance que lui qui sait la vérité (ils le croient !…) est délivré de leurs troubles.