Page:Rolland Clerambault.djvu/262

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L’infirme était parti, rasséréné. Clerambault demeurait étourdi d’une légère ivresse. Il se taisait, goûtant le bonheur étrange qu’éprouve une âme, personnellement infortunée, à sentir qu’elle participe au bonheur d’autres âmes, présentes ou à venir. Le bonheur, l’instinct profond, la plénitude de l’être… Tous les êtres y aspirent, mais il n’est pas le même pour tous. Les uns veulent avoir ; pour d’autres, voir c’est avoir ; et pour d’autres, croire, c’est voir. Et tous ne forment qu’une chaîne, que cet instinct relie : depuis ceux qui ne cherchent que leur bien, celui de leur famille, celui de leur nation, jusqu’à l’être qui embrasse les millions d’êtres, tout le bonheur total. Et tel qui n’a point le bonheur, le porte pour les autres, ainsi que Clerambault, et ne s’en doute point : car les autres voient déjà la lumière sur son front, quand ses yeux sont encore dans l’ombre.

Le regard du jeune ami venait de révéler au pauvre Clerambault sa richesse inconnue. Et la conscience du message divin dont il était chargé rétablissait son union