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Page:Rolland Clerambault.djvu/263

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perdue avec les hommes. Ils ne le combattaient que parce qu’il était leur pionnier téméraire, leur Christophe Colomb qui s’obstine, sur l’Océan désert, à leur ouvrir la voie du Nouveau Monde. Ils l’insultent, mais ils le suivent. Car toute pensée vraie, qu’elle soit ou non comprise, est le vaisseau lancé qui remorque à sa suite les âmes du passé.


À partir de ce jour, il détourna les yeux du fait irréparable de la guerre et des morts, pour se tourner vers les vivants et vers l’avenir qui est dans nos mains. Si fascinante que soit l’obsession de ceux que nous avons perdus, et quelque douloureux attrait qui nous invite à nous engloutir avec eux, il faut nous arracher aux souffles maléfiques qui montent, comme à Rome, de la Voie des Tombeaux. Marche ! Ne t’arrête point ! Tu n’as pas droit encore à leur repos. D’autres ont besoin de toi. Regarde-les là-bas, qui, pareils aux débris de la Grande Armée, se traînent en cherchant dans la morne étendue le chemin effacé…

Clerambault vit le noir pessimisme qui menaçait d’accabler ces jeunes gens, après la guerre, et il en fut transpercé. Le danger moral était grand. Les gouvernants ne s’en inquiétaient pas. Ils étaient comme ces mauvais cochers, qui enlèvent à coups de fouet leur cheval, pour lui faire avaler au galop une pente raide. Le cheval arrive au haut ; mais la route continue, et le cheval s’abat : il est fourbu, pour la vie… De quel cœur ces jeunes gens s’étaient lancés à l’assaut, dans les premiers mois de la guerre ! Et puis, l’ardeur était