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Page:Rolland Clerambault.djvu/273

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temps, — ne songeait à contraindre Clerambault. Mais sa pensée se trouvait quelquefois étrangement costumée, à la mode de ses hôtes. Quels échos imprévus elle avait dans leur bouche ! Clerambault laissait parler ses amis, et il ne parlait guère. Quand il revenait de là, il était troublé et un peu ironique :

— Et c’est là ma pensée ? se demandait-il.

Ah ! qu’il est difficile de communiquer son âme aux autres hommes ! Impossible peut-être. Et qui sait ?… La nature est plus sage que nous… Peut-être que c’est un bien…

Dire toute sa pensée ! Le peut-on ? Le doit-on ? On est venu à elle, lentement, péniblement, par une suite d’épreuves : elle est comme la formule de l’équilibre fragile entre les éléments intérieurs. Changez les éléments, leurs proportions, leur nature, la formule ne vaut plus et a d’autres effets. Jetez votre pensée dans un autre, tout d’un coup, tout entière, elle risque de l’affoler. Il est même des cas où, si l’autre comprenait, il pourrait en être tué. Mais la prudente nature a pris ses précautions. L’autre ne vous comprend pas, il ne peut pas vous comprendre, son instinct l’en défend ; il ne prend de votre pensée que le choc sur la sienne ; et, ainsi qu’au billard, la bille rebondit ; mais il est moins facile de prévoir vers quel point du tapis. Les hommes n’écoutent pas avec un esprit pur, mais avec leurs passions et leur tempérament. Dans ce que vous leur donnez, chacun reprend son bien et rejette le reste. L’obscur instinct de défense ! L’esprit ne s’ouvre pas à la pensée nouvelle. Il fait le guet, au guichet. Et