Page:Rolland Clerambault.djvu/274

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n’entre que ce qu’il veut. La haute pensée des sages, des Jésus, des Socrate, qu’en a-t-on fait ? De leur temps, on les a tués. À vingt siècles de distance, on en a fait des dieux : c’est une autre façon de les tuer ; on rejette leur pensée dans le royaume éternel. Si on la laissait s’accomplir dans le monde d’ici-bas, le monde serait fini. Eux-mêmes le savaient. Et le plus grand de leur âme n’est peut-être pas ce qu’ils ont dit, mais ce qu’ils n’ont pas dit. Éloquence pathétique des silences de Jésus, beau voile des symboles et des mythes antiques, faits pour ménager les yeux faibles et peureux ! Trop souvent, la parole qui pour l’un est la vie, est pour l’autre la mort, ou, ce qui est pis, le meurtre.

Que faire, si l’on a la main pleine de vérités ? Lancer le grain à toute volée ? Mais le grain de la pensée peut pousser mauvaise herbe ou poison !…

Allons, ne tremble pas ! Tu n’es pas le maître du destin ; mais tu es aussi le destin, tu es une de ses voix. Parle donc ! C’est ta loi. Dis toute ta pensée, mais dis-la avec bonté. Sois comme une bonne mère, à qui il n’est pas donné de faire de ses enfants des hommes, mais qui leur enseigne patiemment à le devenir, s’ils veulent. On n’affranchit pas les autres, malgré eux ou sans eux ; et même si c’était possible, à quoi bon ? S’ils ne s’affranchissent eux-mêmes, demain ils seront retombés esclaves. Donne l’exemple et dis : « Voici le chemin ! Vous voyez, on peut se faire libre… »