Page:Rolland Clerambault.djvu/276

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le civil, jeune ouvrier dessinateur pour industries. Un obus l’avait lardé, du haut en bas ; il avait une jambe de moins et le tympan brisé. Mais Gillot réagissait plus énergiquement contre le sort que Moreau. Ce petit homme brun avait des yeux vifs, où brûlait, malgré tout, une flamme de gaieté. D’accord avec Moreau pour juger le non-sens de la guerre et le crime de la société, il avait vu les mêmes faits, les mêmes hommes, mais non avec les mêmes yeux ; et les deux jeunes gens étaient souvent en discussion.

— Oui, disait Gillot un jour que Moreau venait de raconter à Clerambault un souvenir lugubre de la vie des tranchées, c’était bien comme ça… Seulement, il y a quelque chose de pire : c’est que ça ne nous faisait rien, — rien, aucun effet.

Moreau protestait, indigné.

— Toi, peut-être, et, si tu veux, deux ou trois, par-ci par-là. Mais les autres !… On finissait par ne plus le remarquer.

Il continuait, pour arrêter une protestation nouvelle :

— Je ne dis pas ça, mon petit, pour nous faire valoir. Il n’y a pas de quoi ! Je dis, parce que ça est… Voyez-vous, — (s’adressant à Clerambault) — ceux qui reviennent de là et qui le mettent dans des livres, ils disent bien ce qu’ils sentent ; mais ils sentent beaucoup plus que le commun des mortels, parce qu’ils sont des artistes. Tout les écorche. Nous autres, on est tanné. C’est même le plus terrible, à cette heure que j’y pense. Quand vous lisez ici une de ces histoires qui vous font dresser les cheveux ou vous donnent la nausée, il vous