Page:Rolland Clerambault.djvu/283

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quelques semaines, où l’infinie patience des peuples martyrisés sembla sur le point de craquer, et où une grande clameur allait rugir : « Assez ! » Pour la première fois, s’étendait parmi eux l’impression d’une sanglante duperie. Comment ne pas comprendre l’indignation d’hommes du peuple qui constataient le jeu effréné des milliards dans la guerre, alors qu’avant la guerre leurs maîtres lésinaient avec quelques cent mille francs, pour les œuvres sociales ? Plus que tous les discours, certains chiffres avaient le don de les exaspérer. On avait fait le calcul que la guerre dépensait environ 75.000 francs pour tuer un homme ! Et pour la même somme qui faisait dix millions de morts, on eût pu faire dix millions de rentiers… Les plus bornés prenaient conscience de l’énormité de la richesse terrestre et de son emploi monstrueux. Gaspillage éhonté, pour un but illusoire ; et, la pire abjection : d’un bout de l’Europe à l’autre, cette vermine que la mort engraisse, les profiteurs de la guerre, les détrousseurs de cadavres…

— Ah ! pensaient ces jeunes gens, qu’on ne nous parle plus de la lutte des démocraties contre les autocraties ! Car c’est la même crasse sous toutes ces craties. Et dans toutes, la guerre a désigné à la vengeance des peuples les classes dirigeantes, l’indigne bourgeoisie, politique, financière, intellectuelle, qui en un seul siècle de toute-puissance a accumulé sur le monde plus d’exactions, de crimes, de ruines et de folies qu’en dix siècles ces fléaux, les rois et les Églises…

Aussi, quand retentit au loin, dans la forêt, la hache de Lénine et Trotsky, les bûcherons héroïques, bien