Page:Rolland Clerambault.djvu/292

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Clerambault ne s’en offensait point. Il était plein de pitié pour lui, car il savait que Moreau souffrait, et il imaginait l’amertume d’une jeune vie sacrifiée, à qui ne peut convenir la nourriture morale — patience, résignation, — dont s’accommodent les estomacs de cinquante ans.

Un soir que Moreau s’était montré particulièrement désagréable, et pourtant s’obstinait à reconduire Clerambault chez lui, comme s’il ne pouvait se décider à le quitter, — taciturne, renfrogné, cheminant à ses côtés, — Clerambault s’arrêta un instant, et, lui prenant amicalement le bras, dit, avec un sourire :

— Mon pauvre garçon, ça ne va donc pas ?

Moreau, interloqué, se ressaisit, et demanda sèchement à quoi l’on pouvait bien voir que « ça n’allait pas ».

— À ce que vous étiez si méchant, ce soir, répondit Clerambault avec bonhomie.

Moreau protesta.

— Mais si. Vous vous donniez tant de mal pour me faire du mal ! Oh, un peu, un petit peu seulement Je sais bien que vous ne voulez pas vraiment… Et quand un homme comme vous cherche à faire souffrir, c’est qu’il souffre Pas vrai ?

— Excusez-moi, dit Moreau. C’est vrai. Je souffrais de voir que vous ne croyez pas à notre action.

— Et vous ? demanda Clerambault.

Moreau ne comprenait pas.

— Et vous ? répéta Clerambault. Vous y croyez ?

— Si j’y crois ! s’écria Moreau, indigné.