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Page:Rolland Clerambault.djvu/293

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— Mais non, dit doucement Clerambault.

Moreau fut sur le point de s’emporter, puis dit, en faiblissant :

— Mais si !

Clerambault avait repris sa marche.

— Bon, dit-il, cela vous regarde. Vous savez mieux que moi ce que vous pensez.

Ils marchèrent sans parler. Après quelques minutes, Moreau, saisissant Clerambault par le bras, lui dit :

— Comment avez-vous pu savoir ?…

Sa résistance était brisée. Il confessa le désespoir caché sous sa volonté agressive de croire et d’agir. Il était rongé de pessimisme. Conséquence naturelle d’un idéalisme excessif, dont les illusions avaient été cruellement mortifiées. Les âmes religieuses d’autrefois étaient bien tranquilles : elles plaçaient le royaume de Dieu dans un au-delà qu’aucun événement ne pouvait atteindre. Mais celles d’aujourd’hui qui l’installent sur la terre, dans l’œuvre de la raison humaine et de l’amour, quand la vie soufflette leur rêve, la vie leur fait horreur. Il y avait des jours où Moreau se serait ouvert les veines ! L’humanité lui semblait un fruit qui pourrissait ; il voyait avec désespoir la défaite, la faillite, le ratage, inscrits dès l’origine dans les destinées de l’espèce, le ver pondu dans la fleur ; et il ne pouvait supporter l’idée de cette absurde et tragique Destinée, à laquelle les hommes ne se déroberont jamais. Comme Clerambault, il sentait, pour l’avoir dans les veines, le poison de l’intelligence ; mais, au