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Page:Rolland Clerambault.djvu/298

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rible accoutumance, dont vous parlait Gillot. À quelques conditions, absurdes et pénibles, qu’on veuille astreindre l’homme, pourvu qu’elles se prolongent et qu’il soit en troupeau, il s’habitue à tout, il s’habitue au chaud, au froid, à la mort, ou au crime. Toute la force de résistance, on l’use à s’adapter ; et après, on se tasse dans un coin, sans bouger, de peur que, si on changeait, on ne réveille la souffrance engourdie. Il y a une telle fatigue qui pèse sur nous tous ! Quand les armées reviendront, elles n’auront qu’un désir : oublier et dormir.

— Et Lagneau enragé, qui parle de tout chambarder ?

— Lagneau ? Je l’ai connu, depuis le commencement de la guerre. Je l’ai vu, tour à tour, cocardier, revanchard, annexionniste, internationaliste, socialiste, anarchiste, bolcheviste, je-m’en-fichiste. Il finira réactionnaire. On l’enverra se faire percer le flanc, ra ta plan, par l’ennemi qu’il plaira demain à nos gouvernants de choisir, parmi nos ennemis ou nos amis d’aujourd’hui… Le peuple est de notre opinion ? Oui, et de l’opinion des autres. Le peuple est de toutes les opinions, à tour de rôle.

— Vous êtes le révolutionnaire, par découragement, dit en riant Clerambault.

— Il y en a beaucoup parmi nous.

— Gillot pourtant est sorti de la guerre plus optimiste qu’avant.

— Gillot peut oublier, dit amèrement Moreau, je ne lui envie pas son bonheur.