Page:Rolland Clerambault.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux douzaines dans toute l’histoire des siècles !) — et ceux qui veulent trop peu, ceux qui ne savent rien vouloir : c’est tous les autres ; c’est nous, c’est moi-même !… Vous l’avez trop bien vu !… Je ne veux que par désespoir…

— Pourquoi désespérer ? dit Clerambault. La destinée de l’homme se fait, chaque jour, et nul ne la connaît ; elle est ce que nous sommes ; être découragé, c’est la décourager.

Mais Moreau disait, avec abattement :

— Nous n’aurons pas la force, nous n’aurons pas la force… Croyez-vous que je ne voie pas quelles chances infimes de succès a, chez nous, la Révolution dans les conditions actuelles, après les destructions, les anéantissements économiques, la démoralisation, la lassitude mortelle, causés par ces quatre ans de guerre ?…

Et il avoua :

— J’ai menti, la première fois que je vous ai vu, quand je prétendais que tous mes camarades sentaient comme nous la souffrance, la révolte. Gillot vous l’a bien dit : nous ne sommes qu’un petit nombre. Les autres, pour la plupart, bonnes gens, mais faibles, faibles !… Ils jugent assez bien les choses ; mais plutôt que de se heurter la tête contre un mur, ils aiment mieux n’y pas songer, ils se vengent par le rire. Ah ! ce rire français, notre richesse et notre ruine ! Qu’il est beau, mais quelle proie il offre aux oppresseurs !… « Qu’ils cantent pourvu qu’ils payent ! » disait cet Italien… « Qu’ils rient, pourvu qu’ils meurent ! » — Et puis, cette ter-