Page:Rolland Clerambault.djvu/304

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de sa vanité hypertrophiée en ressentit une blessure, que seul pouvait venger l’écrasement total, définitif, de l’adversaire. Clerambault lui apparut non seulement comme un ennemi personnel, mais comme un ennemi public ; et il s’acharna à en trouver les preuves : il fit de lui le centre d’un grand complot pacifiste, dont le ridicule eût sauté aux yeux, en d’autres temps ; mais en ce temps-là, on n’avait plus d’yeux. Dans les dernières semaines, la polémique de Bertin avait dépassé en verve et en violence tout ce qu’il avait encore écrit : elle était une menace pour tous ceux qui étaient convaincus ou suspects de tremper dans l’hérésie de la paix.

Aussi, la nouvelle de sa mort fut-elle accueillie, dans la petite réunion, avec une satisfaction bruyante ; et l’on fit son oraison funèbre en un style qui ne le cédait en énergie à aucun des maîtres du genre. Clerambault entendait à peine, plongé dans la lecture du journal. Un de ceux qui l’entouraient lui tapa sur l’épaule, et lui dit :

— Eh bien, cela vous fait plaisir ?

Clerambault sursauta :

— Plaisir !…, dit-il… Plaisir ! répéta-t il.

Il prit son chapeau et partit.

Il se retrouva dans la nuit de la rue, dont les lumières étaient éteintes, à cause d’une alerte aérienne.

Il revoyait dans sa pensée un fin visage d’adolescent, au teint d’une pâleur chaude, aux beaux yeux bruns caressants, les cheveux bouclés, la bouche mobile et rieuse, le timbre de voix chantant : — Bertin, tel qu’il