Page:Rolland Clerambault.djvu/334

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joie… Ah ! c’est trop bon de vivre tout entier !… Pauvre Froment !… Vous me trouvez terriblement égoïste ?

— Mais non, dit Clerambault. Vous parlez selon la saine nature. Si tous étaient sincères comme vous, l’humanité ne serait pas la proie du plaisir vicieux de la gloire dans la souffrance. Vous avez d’ailleurs les droits de savourer la vie, après avoir passé par l’épreuve.

(Il montrait la croix de guerre sur la poitrine du jeune homme).

— J’y ai passé et j’y retourne, dit Chastenay. Mais croyez bien que je n’y ai aucun mérite ! Car je ne le ferais pas, si je pouvais faire autrement. Inutile de nous jeter de la poudre aux yeux. La poudre, aujourd’hui, sert à d’autres usages. On n’arrive pas à sa troisième année de guerre, en ayant conservé l’amour du risque ou l’indifférence au danger, si tant est qu’on l’eût au commencement. Et je l’avais, je dois l’avouer. J’étais un bon puceau de l’héroïsme. Mais il y a beau temps que j’ai perdu ma virginité ! Elle était faite d’ignorance autant que de rhétorique. Une fois qu’elles sont tombées, le non-sens de la guerre, l’idiotie des massacres, la laideur, la duperie de ces affreux sacrifices crèvent les yeux des plus bornés. Et s’il ne serait pas viril de fuir l’inévitable, on ne fait rien non plus pour chercher ce qu’on peut éviter. Le grand Corneille était un héros de l’arrière. Ceux de l’avant que j’ai connus étaient, presque toujours, des héros malgré eux.

— C’est l’héroïsme vrai, dit Clerambault.