Page:Rolland Clerambault.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesuré, par le respect qu’inspirait sa bonté, le meilleur frein aux exagérations insanes de la haine. Elle répandait aussi dans les foyers susceptibles d’en être touchés les messages des libres Européens, les articles de Clerambault, qui n’en sut jamais rien ; et elle eut la satisfaction de voir qu’ils atteignaient les cœurs. Sa plus grande joie fut que son fils lui-même en fut transformé.

Edme Froment n’avait rien d’un pacifiste tolstoyen. Au début de la guerre, il la jugeait une bêtise, encore bien plus qu’un crime. Si on l’eût laissé libre, il se fût retiré de l’action, comme Perrotin, dans le haut dilettantisme de l’art et de la pensée. Il n’eût pas essayé de combattre l’opinion, car il le jugeait vain : il ressentait alors pour la folie du monde plus de mépris que de pitié. Sa participation forcée à la guerre l’avait contraint à reconnaître que cette folie était si largement payée par la souffrance qu’il était superflu d’ajouter le mépris à la condamnation. L’homme se faisait à lui-même son enfer sur la terre : il n’avait pas besoin d’un autre arrêt. Et dans le même temps, la parole de Clerambault, qui lui était parvenue pendant une permission à Paris, lui avait révélé qu’il avait mieux à faire qu’à s’ériger en juge de ses compagnons de chaîne : en partageant leur charge, tâcher de les délivrer.

Seulement, le jeune disciple allait plus loin que le maître. Clerambault, dont la nature affectueuse, un peu faible, trouvait sa joie dans sa communion avec les autres hommes, et qui souffrait de s’en séparer,