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Page:Rolland Clerambault.djvu/338

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son compagnon mort tenait en elle la place de la religion chez d’autres. Sans croyance arrêtée sur l’autre vie, elle le priait, chaque jour, surtout aux heures intenses, comme un ami toujours présent, qui veille et qui conseille. Par ce singulier phénomène de reviviscence qu’on observe souvent après la mort d’un être cher, l’essence de l’âme du mari semblait avoir passé en elle. C’est pourquoi son fils avait grandi dans une atmosphère de pensée aux calmes horizons, bien différents des paysages fiévreux, où poussait la jeune génération d’avant 1914, inquiète, ardente, agressive, irritée par l’attente Quand la guerre éclata, Mme Froment n’eut pas besoin de se défendre ni de défendre son fils contre les entraînements de la passion nationale : à tous deux elle était étrangère. Ils n’essayèrent pas non plus de résister à l’inévitable. Il y avait si longtemps que le malheur était en marche ! Il s’agissait de le soutenir sans plier, en sauvant ce qui devait être sauvé : la fidélité de l’âme à sa foi. Mme Froment n’estimait pas qu’il fût nécessaire d’être « au-dessus de la mêlée », pour la dominer ; et ce que firent par leurs articles deux ou trois écrivains de France, d’Angleterre, d’Allemagne, pour la réconciliation internationale, elle l’accomplit dans sa sphère limitée, plus simplement, mais plus efficacement. Elle avait conservé ses anciennes relations : et sans paraître gênée dans ces milieux infectés d’esprit de guerre, sans jamais entreprendre de vaines démonstrations contre la guerre, elle était, par sa seule présence, par sa parole tranquille, son lucide regard, son jugement