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Page:Rolland Clerambault.djvu/353

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se tromper. Cependant, il avait de l’intelligence, de la vigueur morale. — et même un cœur, mais le tout ligoté et serré sous un épais aubier, comme un vieux tronc noueux. Ses forces, privées d’expansion, s’étaient tassées. Il n’absorbait rien du dehors. Quand il lisait, quand il voyageait, c’était avec des yeux hostiles et le désir de se retrouver chez soi. Rien n’entamait l’écorce ; toute sa vie lui venait du pied de l’arbre, de la terre : — des Morts.

Il était le type de cette fraction de la race qui, forte mais vieillie, n’a plus assez de vie pour se répandre au dehors, et se ramasse dans un sentiment de défense agressive. Elle observe avec méfiance, avec antipathie, les jeunes forces neuves qui débordent autour d’elle, dans son peuple et hors de son peuple, les nations et les classes qui grandissent, tous les efforts passionnés, maladroits, de rénovation sociale et morale. Elle a besoin, comme ce pauvre Barrès et son héros rabougri[1], de murailles, de barrières, de frontières, d’ennemis.

Dans cet état de siège, Vaucoux vécut et fit vivre les siens. Sa femme, douce, morose, effacée, avait trouvé l’unique moyen d’en sortir : elle était morte. Resté seul

  1. « Simon et moi, nous comprîmes alors notre haine des étrangers, des barbares, et notre égotisme où nous enfermons avec nous-mêmes toute notre petite famille morale. Le premier soin de celui qui veut vivre, c’est de s’entourer de hautes murailles : mais dans son jardin fermé il introduit ceux que guident des façons de sentir et des intérêts analogues aux siens. » (Un Homme libre.)
    En trois lignes, trois fois cet « homme libre » exprime l’idée d’ « enfermer »… « fermer »… « s’entourer de murailles »…